L’Analyse Quantifiée de la Marche

Le GERAR : Mr Mégrot, le GERAR vous accueille sur son blog afin de promouvoir vos actions dans le domaine de l’AQM. Pouvez-vous nous décrire votre parcours et la structure dans laquelle vous travaillez actuellement ?

Fabrice Mégrot : Depuis le début des années 90, je gravite dans le monde du sport en suivant un cursus STAPS. Je me suis orienté par la suite vers les sciences de la vie en passant un DEA de Biomécanique et Physiologie du mouvement au laboratoire de Simon Bouisset et Bernard Maton à la faculté des sciences d’Orsay. Après un Doctorat et un poste d’ATER, je me suis orienté dans le domaine privé en travaillant pour la société Biometrics France qui distribue du matériel de capture de mouvement de pointe. Par la suite je suis entré comme enseignant-chercheur à l’Institut National du Sport et de l’Education Physique au service du sport de haut niveau.
J’ai basculé sur la clinique en 2006 en entrant au Centre deMédecine Physique et de Réadaptation pour Enfants de Bois-Larris (CMPRE). Je m’occupe du Laboratoire Clinique d’Analyse de la Marche et du Mouvement (UCAMM). Le CMPRE est une structure appartenant à la Croix-Rouge Française. Nous nous occupons d’enfants souffrant de paralysie cérébrale principalement, mais également de troubles de l’attention, et d’orthopédie plus classique. C’est en 2001 que l’établissement s’est doté d’un laboratoire d’analyse du mouvement. Ce laboratoire est issu d’un laboratoire présent depuis 1993 à Palavas les Flots à l’Institut Saint Pierre. Ce fut le premier laboratoire d’analyse clinique du mouvement en France. Au total, nous avons donc à Bois-Larris près de 20 ans d’expérience dans le domaine.

Le GERAR : Qu’est-ce que l’AQM ? Pouvez-vous nous rappeler ses grandes dates historiques ? Quelle population est concernée par l’AQM ?

FM : L’AQM est un examen codifié CCAM qui permet d’analyser la marche sous un nombre important de « points de vue ». Cet examen, est principalement axé sur la capture de mouvement, à la fois optique, dynamique et électromyographique. Il est le résultat de la fusion de technologies de pointe permettant d’enregistrer précisément le mouvement et ses caractéristiques avec la biomécanique et la clinique. Cette analyse est née de la rencontre entre la clinique et l’ingénierie.

Historiquement, la capture de mouvement comme la biomécanique sont réellement nées d’un précurseur nommé Etienne-Jules Marey, à la fin du XIXème siècle. Il fut le premier à avoir une démarche scientifique dans ce domaine consistant à décrire et analyser le mouvement, qu’il soit humain ou animal. Il y a un peu plus de vingt ans maintenant, cet examen est né de l’intérêt du monde clinique d’obtenir, par un examen standardisé, des données objectives sur la marche d’un patient. Ces données, associées à la clinique ont permis à l’époque d’optimiser et améliorer les indications chirurgicales. L’amélioration diagnostique résultant de l’utilisation de cette analyse a favorisé le développement du concept de chirurgie « multisite » en un temps, qui consiste à réaliser jusqu’à quatre gestes chirurgicaux par membre, en une seule fois. Cette approche permet de diminuer l’impact psychologique des interventions multiples réalisées séparément, optimise les améliorations fonctionnelles et réduit le coût médical. En tant qu’examen à visée thérapeutique et d’aide à la décision, l’AQM se doit d’être précise et rigoureuse. Ainsi la validité et le réglage du matériel utilisé jouent un rôle prépondérant dans la qualité et la fiabilité des résultats.

Les populations directement intéressées par cette analyse sont représentées majoritairement par les enfants et principalement souffrant de paralysie cérébrale (PC). D’autres pathologies sont étudiées également mais la PC reste majoritaire du fait de la complexité des troubles. Sinon, quelques laboratoires en France s’occupent d’adultes (PC, appareillés, prothétiques). Les personnes âgées ne sont pas directement intéressées par un examen si complet. Elles sont suivi généralement dans le cadre de maladie neuro-dégénératives ou/et dans le cadre prothétique et c’est la fonctionnalité de la marche qui est la plus étudiée. Dans ce cadre, nous avons mis en place un examen appelé AQMS (Analyse Quantifiée de la Marche Simplifiée), axé sur l’étude fonctionnelle de la marche.

Le GERAR : Quels sont les principaux axes d’interprétation de l’AQM et quelles sont les critiques que vous pouvez faire à ces analyses ?

FM : L’AQM fournit des données de 4 types permettant d’avoir une vue complète des différents aspects de la marche : paramètres spatio-temporels pour son caractère fonctionnel, cinématique (forme de la marche via capture de mouvement optoélectronique avec marqueurs rétro-réfléchissants), cinétique (forces mises en jeu au niveau des articulations, calculées sur la base des forces enregistrées par plate-formes de force), électromyographique (électrodes de surface ou intra-musculaires donnant les timings de contraction musculaire essentiellement). Ces données sont également complétées par une vidéo fonctionnelle. De ces différents « points de vue » sur la marche, les praticiens ne tirent pas les mêmes renseignements. Il y a une différence notable entre l’AQM utilisée par le chirurgien dans le cadre d’indications opératoires et celle lue par le médecin de rééducation dans le cadre de suivi de rééducation du patient. On peut chercher à utiliser l’AQM dans le cadre d’un choix d’une thérapeutique plutôt que d’une autre, d’une comparaison pré/post thérapeutique, de l’effet d’une prothèse ou d’une attelle, d’un suivi de l’amélioration ou de la dégradation de la marche, etc.

Si l’ensemble des données capturées restent sensiblement les mêmes, ce qui fait la différence est principalement axé sur les équipes qui utilisent ces AQM et de leur composition. Si ces analyses se doivent d’être les plus précises possibles, il faut savoir qu’elles reposent sur des outils de mesure principalement externes. Rapidement dit, nous allons nous servir de capteurs et d’électrodes externes (collées sur la peau) pour étudier ce qu’il se passe en interne : angle formé par deux segments osseux sur différents plans, efforts et contraintes sur les articulations, activité des muscles. Il est aisé de comprendre que la précision de l’AQM va dépendre principalement de la capacité de l’opérateur à être précis mais également constant dans ses erreurs de placement. Hors, les sources d’erreurs sont nombreuses. Elles dépendent des personnes réalisant l’examen et de leur constance, des modèles biomécaniques utilisés, des réglages des différents appareils et enfin, des spécificités du patient (niveau d’atteinte, niveau de déformations, anthropométrie, coopération du patient…).

Le GERAR : Quelles sont les dernières thématiques scientifiques de l’AQM ? Et comment s’inscrit l’AQM dans une démarche pluridisciplinaire de soin ?

FM : Les thématiques de recherche sont nombreuses. Elles sont parfois multi-centriques, parfois liées aux besoins d’une équipe en particulier. La modélisation musculo-squelettique est un enjeu majeur dans les années à venir. Sinon, certains travaillent en direction de l’évaluation quantitative des longueurs musculaires lors de la marche, d’autres sur l’élaboration de scores simplifiant la lecture de l’AQM, d’autres encore sur la quantification des effets d’un appareillage ou d’une prothèse. Certaines équipes travaillent sur le membre supérieur, d’autres sur les relations d’intérêt entre la radiographie 3D et l’AQM. Sur ces thèmes, je ne suis pas exhaustif.

Enfin, par rapport à ce qui a été dit plus haut sur les limites, le travail sur la qualité est fondamental. Certaines équipes ont mis au point des outils permettant à chaque laboratoire de quantifier « le degré d’erreur » ou plutôt « le degré de fiabilité » d’une AQM. Il s’agit également d’un enjeu majeur pour celle-ci, consistant à mesurer la qualité de ce que l’on produit comme résultat au clinicien.

Pendant très longtemps, les analyses de la marche étaient prescrites uniquement par les chirurgiens afin d’optimiser les décisions thérapeutiques et d’effectuer des comparaisons pré- et post-chirurgicales. C’est aujourd’hui un outil facilement utilisable en rééducation, avec de nombreuses indications. Si, lors de bilans pré-thérapeutiques, l’AQM est toujours un excellent support aux discussions pluridisciplinaires avec les chirurgiens et autres thérapeutes impliqués dans la prise en charge du patient, elle est devenue aujourd’hui indispensable au médecin MPR. Elle est utile pour le suivi de rééducation, le suivi longitudinal des patients, l’évaluation de l’appareillage, les tests diagnostics et les évaluations pré- et post-toxine (ou autre thérapeutique). L’analyse de la marche fait partie intégrante de leur prise en charge. À chaque étape, en fonction de l’âge du patient et des objectifs thérapeutiques proposés, les modes d’évaluation et les outils utilisés peuvent varier. Ils varient aussi d’une équipe à l’autre.

Le GERAR : Quels pourraient être les ouvertures et les champs possibles à moyen/long terme ?

FM : Rêvons un peu. Dans le cas du patient PC, mon objectif à terme est de développer un modèle musculo-squelettique déformable suivant des lois biomécaniques de croissance qui restent à déterminer. On pourrait ainsi, sur la base d’un tel modèle, prédire les déformations squelettiques à venir en fonction de la marche actuelle du patient et de sa croissance. Lire le futur orthopédique d’un enfant dans la marche d’aujourd’hui reste actuellement une belle idée, loin d’être mise en oeuvre aujourd’hui. Mais petit à petit, on avance dans cette direction.

Vous trouverez ci-après les liens vidéos réalisées par Fabrice Mégrot :
Chaine vidéo : On refait la marche

MV, NS, AA.

Fabrice MEGROT, PhD HDR
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Au sujet de l'auteur

Fabrice MEGROT, PhD HDR
Docteur en sciences (PhD. HdR), spécialiste en contrôle moteur, biomécanique et physiologie du mouvement. 16 années comme responsable de l'Unité Clinique d'Analyse de la Marche et du Mouvement au Centre de Médecine Physique et de Réadaptation pour Enfants de Bois-Larris (Croix-rouge française). Enseignant au DIU d'Analyse du mouvement.